Waiting
Traduction : Attendre
Langues | Hindi, Anglais |
Genre | Drame |
Dir. Photo | Neha Parti Matiyani |
Acteurs | Naseeruddin Shah, Rajat Kapoor, Kalki Koechlin, Arjun Mathur, Suhasini Maniratnam, Rajeev Ravindranathan |
Dir. Musical | Mikey McCleary |
Paroliers | Ankur Tewari, Mikey McCleary, Manoj Muntashir, Kalki Koechlin |
Chanteurs | Vishal Dadlani, Nikhil D’Souza, Kavita Seth, Anushka Manchanda, Mikey McCleary |
Producteurs | Manish Mundra, Priti Gupta |
Durée | 98 mn |
Tara Deshpande (Kalki Koechlin) est une jeune et moderne publicitaire de Bombay. Elle travaille chez elle avec deux collègues quand on sonne à la porte. Un employé de la société de son mari vient lui annoncer l’affreuse nouvelle : Rajat a eu un accident de voiture pendant un voyage d’affaires à Cochin. Morte d’inquiétude, Tara saute dans le premier avion et arrive à la nuit à l’hôpital Aster Medcity où l’attend Girish, un collègue de son mari. Il n’ose pas lui donner de détails sur l’accident et Tara doit attendre le médecin de garde qui passe par là pour apprendre enfin la vérité. Rajat était à la place du mort et a souffert de multiples fractures du crâne. Il est dans le coma, maintenu en vie par un respirateur artificiel. Son cerveau a été touché et son pronostic vital est engagé. Les prochaines 48 heures seront cruciales.
Dans la cafétéria désertée de l’hôpital, elle remarque un homme attablé qui semble travailler. Elle le croit médecin, mais il s’agit de Shiv Natraj (Naseeruddin Shah), un professeur à la retraite, le mari d’une patiente dans le coma depuis huit mois. Il vient la voir tous les jours, mais lui aussi ne peut rien faire d’autre qu’attendre et espérer…
Deux âmes perdues dans un immense hôpital qui attendent sans même pouvoir oser espérer que leur être le plus cher au monde leur revienne, voilà qui n’est pas très engageant. Pire, ce pourrait être désespérant. Étrangement, ce n’est pas le cas. Bien sûr, ce n’est pas d’une folle gaieté, mais passé les premiers moments d’effroi, nous comprenons que les auteurs, la réalisatrice Anu Menon en tête, nous plongent dans un univers terriblement crédible pour nous renvoyer à nous-mêmes. Ils nous prennent par la main pour explorer des recoins tristes de la réalité, de ce qui pourrait être notre propre réalité.
Waiting a été tourné en grande partie dans le véritable hôpital Aster Medcity de Cochin, mais au-delà des décors, il n’y a pas une seule situation, pas une seule phrase prononcée, qui ne puisse être vraie. Les médecins par exemple sont criants de vérité. Les films et les séries « médicales » sont légion, mais dans leur immense majorité, ils nous présentent des personnels soignants larger-than-life qui virevoltent et trouvent des solutions lorsque l’espoir n’est plus permis. Ici, Rajat Kapoor qui incarne le neurochirurgien, est d’une extraordinaire justesse. Les paroles, le ton, les attitudes, les gestes, tout est exact. Qu’il me soit permis de dire que j’ai passé plusieurs jours dans une clinique étrangère il y a quelques semaines. Mon médecin était si proche du Dr. Malhotra que je pourrais les confondre. Ma riche clinique privée européenne était d’ailleurs elle-même presque identique à cet hôpital du Kerala, même les cafétérias se ressemblent.
Anu Menon a écrit et réalisé un film assurément indien. Les acteurs sont tous indiens et il se situe en Inde. Certains comme Tara parlent un hinglish qui ne se trouve qu’au nord du Sous-continent. Pourtant, le spectateur éprouve un tel sentiment de proximité que la distance et les différences culturelles sont presque totalement abolies. Même lorsque Shiv décrit les phases de l’insupportable attente un peu comme les sept étapes de l’amour chez Ghalib, on ne peut s’empêcher de penser qu’elles sont universelles. L’appel à Dieu ou au contraire son rejet, le désespoir ou les espoirs fous, l’enfermement volontaire dans la routine pour tenter d’oublier un avenir qui n’existe pas, le refus de l’inéluctable ou l’acceptation finale, tout cela pourrait nous arriver.
Comme pour illustrer son universalité, Waiting met en scène deux personnages a priori totalement dissemblables. Tara est une jeune citadine énergique qui n’a probablement pas trente ans. Shiv est un vieux professeur qui a dépassé la soixantaine. Elle vient juste de se marier, il l’était depuis plus depuis des décennies, elle revendique son athéisme, il croit ou fait semblant de croire. Mais confrontés au même malheur affreux, ces deux-là se trouvent pour s’épauler dans la douleur. Peu à peu, ils commencent à se ressembler. Le formidable plan final nous les montre tous les deux assis dans la salle d’attente, figés, identiques. Celui qui paraissait le plus fort et celle qui semblait la plus fragile se rejoignent magnifiquement.
Le film est aussi l’histoire de la construction d’une amitié profonde. Alors que les circonstances leur font endurer l’enfer et que leurs univers les abandonnent peu à peu, Tara et Shiv s’accrochent solidement l’un à l’autre. Cela ne va pas sans heurts et cela n’en est que plus émouvant. On aurait pu imaginer que Tara utiliserait Shiv comme une bouée de sauvetage. Ce n’est pas le cas, il est lui-même au bout du rouleau et a beaucoup plus besoin d’elle qu’il ne veut le laisser croire. Ils seront à deux pour affronter ce qui les attend dans une fin ouverte particulièrement dramatique.
Après le choc d’un début saisissant, l’action est absente de Waiting. Pourtant, il n’est pas une seconde ennuyeux. Anu Menon nous a tellement profondément immergé dans son histoire que nous guettons chaque scène, chaque nouvelle minuscule, chaque événement si modeste soit-il. Nous suivons avec avidité les deux personnages extrêmement attachants dans leurs moments terribles comme dans leurs petites joies. À aucun moment ce n’est trop long ni même simplement rallongé. La construction narrative comme le montage sont merveilleux.
Anu Menon avait commencé derrière la caméra avec London Paris New York, une comédie romantique plutôt calamiteuse sortie en 2012. Waiting fait figure de film adulte original et fascinant tandis qu’au contraire le précédent était finalement assez infantile, impersonnel et artificiel. Elle a su s’entourer d’artistes de premier plan dans sa remarquable transformation. Kalki Koechlin comme Naseeruddin Shah sont particulièrement habités. Les seconds rôles, emmenés par un Rajat Kapoor impérial, sont également absolument parfaits. Même les acteurs qui n’ont pas ou très peu de texte tels qu’Arjun Mathur qui joue le mari de Tara, ou Suhasini Maniratnam qui incarne la femme de Shiv sont touchants.
Elle doit aussi probablement une part de cette réussite à sa maison de production, Drishyam Films, qui a produit précédemment des merveilles comme Ankhon Dekhi, Umrika ou Masaan. Waiting est lui aussi un « film de festival » tourné avec très peu de moyens et en un temps record, et comme tel, il s’éloigne des canons de Bollywood ce qui l’a condamné à de maigres résultats au box-office en Inde. Mais est-ce si important ?
Deux êtres condamnés à attendre dans un hôpital l’improbable réveil de leurs moitiés plongées dans un interminable coma. Ce pourrait être aussi atroce qu’ennuyeux. Il n’en est rien grâce à une écriture, une mise en scène et des acteurs de tout premier ordre. Ce film d’auteur évite brillamment l’écueil de la tristesse désespérante en nous invitant à partager la vie qui continue malgré tout et l’amitié naissante entre deux personnages profondément attachants.
Waiting accomplit le tour de force de s’attaquer à un sujet grave avec un réalisme méticuleux. Pourtant, il le traite avec tant de délicatesse que ce fut presque un privilège d’avoir l’occasion de le revoir pour écrire cette chronique.