En ce dimanche 23 juillet 2017, il fallait braver les foules concentrées sur les Champs Élysées et impatientes d’accueillir le grand vainqueur du Tour de France, pour aller se faire une toile.
Ce fut long et périlleux, mais il m’en faut plus pour me décourager. J’ai donc pu visionner l’un des films les plus attendus de l’année : Vikram Vedha !
L’avis de Seji : 8/10
Pour la structure de leur nouveau film, le duo de réalisateurs s’est basé sur les récits mythologiques du roi Vikramaditya , ayant régné dans la capitale d’Ujjain vers le Ier siècle avant JC. Les ouvrages écrits entre le Xème et le XIIème siècles, par Kshemendra et Somadeva, relatent les légendes du roi.
Il contient 25 histoires contant les péripéties du souverain, dont le but est d’attraper un vampire : le Vedalam. A chaque fois que ce dernier réussit à maîtriser le monstre, il le prend sur son dos. C’est ainsi que le vampire lui raconte une histoire.
Afin de tester son intelligence, il lui soumet une énigme à la fin de ses récits. Si le roi lui donne une mauvaise réponse, il peut le ramener à un sorcier devant décider de son sort. A contrario, si la majesté lui donne la bonne réponse, le vampire retourne à son arbre où il se cache.
Ces contes ont bercé ma jeunesse. Ils fonctionnaient bien car chaque histoire et chaque énigme étaient différentes, sauf le début et la fin : autrement dit la capture du vampire et sa fuite.
C’est l’histoire du film. Vikram, un flic marié à une avocate (Priya), a pour mission de coincer et descendre un criminel, Vedha. Débutent un jeu du chat et de la souris, de farces et attrapes ainsi que de nombreux twists entre ces deux personnages.
Le générique présent au début du film expose la version animée de ce conte, narrant les aventures du roi jusqu’à la capture de l’être maléfique. Ensuite se met en place la présentation de Vikram et de sa quête, puis l’entrée en scène de Vedha qui va lui raconter trois histoires basées sur des moments de sa vie ; agrémentées de trois questions auxquelles doit répondre Vikram. Les réponses vont lui permettre de résoudre une série de mystères entâchant une multitude d’enquêtes.
"Est-ce que Vikram va attraper le Vedalam une fois pour toutes ?" Cette interrogation constitue l’intrigue principale du film.
Madhavan joue le rôle de Vikram. Après une performance géniale l’année dernière dans Iruthi Suttru, voici le retour de l’acteur chéri du cinéma tamoul.
Un retour en force vu la manière dont il habite son rôle, avec l’aisance et le charme qu’on lui connaît.
La première séquence du film, dans laquelle il met en place son opération avec son équipe, est un délice. Il est constamment animé par cette détermination envers son ennemi juré, par sa complicité envers sa femme, sa passion pour sa moto vintage et sa bienveillance envers ses amis. La rage qu’il développe pour mener à bien sa mission est extrêmement convaincante. Même si les méthodes employées sont parfois douteuses, ce qui lui vaut les critiques de ses supérieurs, on ne peut que le soutenir fermement. Son rôle en demi-teinte, le poussant à juger sa propre morale et à évaluer le poids de ses actions, lui va comme un gant.
Vijay Sethupathi, l’acteur versatile en vogue, joue Vedha, le rôle d’un gangster dangereux. Il vient se confronter à Vikram pour lui raconter des histoires…celles de sa vie. Il cherche également des réponses pour lesquelles l’aide du flic, qu’il respecte grandement, va lui être précieuse. Rares sont les stars qui savent se faire désirer. Quand Vedha débarque dans le commissariat à la 29ème minute du film pour se rendre, à la manière de Kevin Spacey dans Seven, avec son thème musical et une caméra placée derrière lui ; la salle est au summum de l’excitation. Nonchalant, arrogant et volontairement cynique dans son interprétation, Vijay apporte une dimension exceptionnelle au film. Sa combinaison avec Madhavan et sa dualité en miroir font des étincelles.
Le couple de réalisateurs (mari et femme dans la vie) ont été à l’origine de pépites comme Oram Po et Va : Quater Cutting sortis en 2007 et 2010. Ils reviennent avec ce conte policier dont l’écriture du script a débuté en 2014.
Ils réunissent autour de Madhavan et Vijay un casting de qualité, avec une pléthore de seconds rôles divisés en deux équipes, selon le personnage principal auxquels ils sont rattachés. Ce qui les lie est leurs motivations vengeresses révélant leur part d’ombre. C’est LA force du film. Les objectifs qui les animent chacun d’entre eux, les rendent ni bons ni méchants. Une ambivalence sur la thématique du bien et du mal est maintenue tout au long du récit, contribuant à une plusieurs lectures du film en fonction du point de vue et des conséquences de leurs actes.
La réalisation est soignée, le rythme également. Il n’y a quasiment pas de point mort dans le film. Les dialogues sont très funs, notamment ceux de Vijay, très savoureux. Les rôles féminins (Shraddha et Varalaxmi) ont peu d’espace mais représentent des portraits de femmes fortes et engagées. Le film peut déplaire par sa fin ouverte quelque peu frustrante, quelques facilités scénaristiques ou une B.O que j’ai trouvé en deçà. Mais avec une intrigue suffisamment forte et prenante, une solide structure mythologique et des comédiens convaincants ; Vikram Vedha devient le succès de l’été.
En somme, je n’ai qu’un seul conseil à vous prodiguer : ne manquez surtout pas ce film !
Vous passerez un moment de pur délire avec ces duos de chocs ; et comme le disait Hitchcock : « Plus réussis sont les méchants, plus réussi sera le film ».
L’avis de Gandhi Tata : 8/10
La mythologie hindoue ou le folklore indien en général, ont toujours été une source d’inspiration inépuisable pour les réalisateurs, depuis l’avènement du cinéma indien. Le film mythologique était d’ailleurs, un genre prisé par les cinéastes à l’époque du muet et ils perpétuaient ainsi, l’ancestrale tradition des conteurs d’histoires qui ont permis aux récits mythiques de se transmettre à travers les générations.
Cependant, depuis 1913 et la sortie de Raja Harishchandra réalisé par le père du cinéma indien, Dadasaheb Phalke, et basé sur l’un des mythes fondateurs du Mahabharata, on pensait avoir fait le tour du sujet, entre adaptations, relectures et autres transpositions contemporaines dans l’univers de la politique, la police, la mafia, le monde rural, j’en passe et des meilleures. Les titres sont nombreux, comme Rajneeti ou Thalapathi, et tous les grands réalisateurs s’y sont frottés avec plus ou moins de succès.
Donc "qu’allaient-ils proposer de plus avec Vikram Vedha ?" était l’unique question dans mon esprit après le visionnage de la bande-annonce. Mais étant un grand fan de l’acteur Madhavan, et suivant avec un grand intérêt l’étonnante carrière de Vijay Sethupathi, qui est en train de tirer à lui tout seul, le cinéma tamoul vers le haut (et oui, rien que ça ! et je maintiens mes dires), je me suis laissé tenter par cette projection. Et comme mon collègue Seji, j’ai eu toutes les peines du monde à rallier le Publicis, en passant les multiples dispositifs de barrières pour les contrôles de sécurité et en me frayant difficilement un chemin au milieu d’une foule attendant la fin du Tour de France.
Dès le générique d’ouverture, ingénieusement conçu comme un clip d’animation, le duo de réalisateurs Pushkar & Gayathri, ne cache pas ses intentions et révèle d’emblée aux spectateurs sa source d’inspiration : le mythe de Vikramaditya & Vedalam. J’ai beaucoup aimé ce procédé, à la fois artistique et nostalgique, car cette compilation de fables a bercé des générations de petits indiens, sous forme de contes pour enfants, livres illustrés, dessins animés et même feuilletons télévisés. D’ailleurs, les cheveux grisonnants du personnage de gangster âgé, incarné par Vijay Sethupathi, est un joli clin d’œil au vedalam à la crinière argentée de la série TV à succès, Vikram Aur Betaal doublée dans toutes les langues du pays en 1988.
L’approche des réalisateurs est très intelligente et diffère totalement de leurs congénères, quant à l’appropriation de ce mythe. Il y a plusieurs démarches possibles pour ce genre d’exercice, et je trouve que la leur est à la fois habile et respectueuse de l’œuvre originale. Au lieu de piller ou transposer maladroitement la légende, Pushkar & Gayathri en ont emprunté la mécanique et les enjeux moraux, pour raconter leur histoire, celle de ce face à face en zone grise, entre un flic brutal et un parrain énigmatique. Tous les réalisateurs vous diront que le scénario est le véritable héros d’un film et si je dois vous citer un exemple récent, pour étayer cette maxime, je dirai sans sourciller, Vikram Vedha !
Dans ce type de long-métrage basé sur un conte populaire, on cherche très souvent à faire le lien avec le matériau d’origine et jouer à deviner qui est qui, perdant parfois tout intérêt pour le film. La prouesse du duo Pushkar & Gayathri est de nous avoir fait oublier les personnages mythologiques, au profit de leurs incarnations contemporaines. On est pris par l’histoire qui se déroule devant nos yeux, tout en ayant dans un coin de notre tête, la référence à Vikramaditya & Vedalam. Le duel psychologique qui oppose Vikram à Vedha, est si intense et palpitant, qu’on se prend au jeu des énigmes initié par le sinistre gangster.
L’interprétation des acteurs joue un rôle primordial dans l’adhésion du public et complimente de belle manière, la formidable écriture de Pushkar & Gayathri. Si bien, qu’il est dur pour moi, de vous dire, lequel des deux duos (Madhavan & Vijay Sethupathi et Pushkar & Gayathri), décroche la timbale. Mais une chose est certaine, leur collaboration tire, à coup sûr, le film vers le haut. Madhavan insuffle ce qu’il faut de dureté à son personnage de flic implacable, sans pour autant lui faire perdre en humanité. Les méthodes expéditives de l’officier Vikram peuvent déconcerter et faire douter de son éthique, mais derrière son apparente bestialité, se cache un homme sensible et doué pour dénicher la vérité (comme pour l’enfouir). C’est justement de cette dernière qualité dont Vedha va se pourvoir, pour élucider un mystère qui le taraude. Tout le film repose sur cette enquête, et le rapport entre ces deux individualités, qui vont se nourrir mutuellement d’indices et de vérités, par le biais de ces trois fameuses histoires racontées par le mafieux au policier. Ces trois récits ont différentes facettes et résonances selon les perspectives des deux anti-héros. Ce sont trois épisodes de la vie d’un voyou devenu parrain de la mafia, trois marches vers une vérité à découvrir, trois pièces d’un puzzle à reconstituer, et enfin trois choix qui les ont conduits à ce moment précis, à cette rencontre décisive pour élucider le drame de leur vie.
Les réalisateurs dynamitent totalement la frontière entre le bien et le mal, et même si chacun des protagonistes appartient au camp adverse, ils voguent constamment en zone trouble pour découvrir LA vérité, thème central du film. Les interactions des deux personnages principaux sont fascinantes, du fait de leur dualité et celui qui parvient à le retranscrire au mieux, à l’écran, c’est Vijay Sethupathi sous les traits de Vedha. On peut aisément affirmer que l’acteur tutoie les sommets de sa carrière avec la spontanéité de son jeu. La cool-attitude de Vedha, son humour, son sarcasme, mais aussi ses failles et ses côtés imprévisibles et sombres, font de ce personnage, un des plus emblématiques du polar tamoul de ces dernières années. Vijay Sethupathi fait preuve d’un tel charisme et d’un naturel saisissant, qu’il réussit à dépasser à de nombreux moments, un comédien expérimenté comme Madhavan. Au risque de m’enflammer, je dirais que Vijay Sethupathi est en train de devenir une Superstar.
Le reste de la distribution ne démérite pas, et il faut louer également la place accordée aux personnages féminins, dans un univers pourtant très masculin. Les actrices, Shraddha Srinath et Varalaxmi Sarathkumar, tiennent des rôles essentiels dans l’avancement de l’histoire, et sont de véritables catalyseurs dans l’évolution individuelle de Vikram et Vedha. Les deux comédiennes retiennent toute notre attention par leur présence et l’authenticité de leur interprétation respective. J’ai particulièrement apprécié, la représentation de deux types de femmes, appartenant à des strates différentes de la société indienne. D’un côté, la très éduquée et sophistiquée Priya (Shraddha Srinath), est une avocate ambitieuse et une femme indépendante qui vit sa vie professionnelle comme personnelle, de manière libre et décomplexée. De l’autre, Chandra (Varalaxmi Sarathkumar) est une jeune femme issue d’un milieu populaire, qui est impulsive et extravertie. Elle n’est pas exempte de défauts, mais c’est quelqu’un d’entier et de sincère, malgré ses faiblesses.
A côté de l’écriture du scénario et des acteurs habités, la partie technique est parfaitement maîtrisée. La photo du chef opérateur P. S. Vinod (Musafir, My Wife’s Murder) rend parfaitement à l’écran l’atmosphère poisseuse des quartiers malfamés arpenté par Vedha, alors que le montage de Richard Kevin ne laisse jamais retomber la tension des duels entre les deux hommes. L’ambiance musicale est un élément important du film, notamment pour traduire l’incertitude de ces instants de suspense qui ponctuent chaque fin d’histoire de Vedha. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que la partition de Sam C. S. est irréprochable, car elle vous saisit, vous plonge dans la tension du moment et vous projette au cœur de l’action.
Vikram Vedha n’est certes pas très original avec les thématiques de vengeance, de guerre des gangs, en parallèle d’une enquête policière, mais c’est un polar efficace qui est à la fois, très intelligent et très indien, avec ce concept d’énigmes emprunté au mythe de Vikramaditya & Vedalam. Les réalisateurs Pushkar & Gayathri ont d’ailleurs poussé l’idée jusqu’au bout, car le film se termine lui-même par une énigme et la fin est laissée à l’appréciation des spectateurs. En plus de la narration, très originale, j’ai aimé ce procédé d’histoires, qui permet, d’une part à Vedha de dire SA vérité et d’autre part aux deux personnages, d’avancer dans leur quête commune de LA vérité, qui se dérobe sans cesse durant tout le film.