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La critique de Fantastikindia

Par Alineji - le 19 mai 2015

Note :
(7/10)

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Montré en première diffusion tout comme The Lunchbox au festival de Cannes en 2013, Monsoon Shootout d’Amit Kumar, financé par la même productrice, Guneet Monga, n’a pas eu en France la même fortune que le film de Ritesh Batra et n’a pas été distribué. Fort heureusement, il a été diffusé à plusieurs reprises en avril 2015, sur la chaîne Arte, sous le titre de « Mousson rouge ».

L’histoire commence le matin où Adi (Vijay Varma), suivant les traces de son père, va intégrer la police de Bombay. Il se prépare, plein d’espoir, à rejoindre l’équipe chargée de la lutte contre le racket et son chef le commissaire Khan (Neeraj Kabi), auprès de qui il est affecté, puis à assurer sa première mission. Il va immédiatement perdre quelques illusions. Ce n’est que le début. Après le générique, l’intrigue se poursuit de nuit, pendant la mousson qui s’est abattue sur la grande métropole. Ayant renoncé à un rendez-vous avec sa petite amie Anu (Geetanjali Thapa), et pour la première fois sur le terrain, le jeune policier idéaliste est confronté à un redoutable truand, Shiva (Nawazuddin Siddiqui), homme de main du puissant mafieux Dagar Bhai (R. Balasubramaniam). Parvenu après une courte poursuite à le coincer au fond d’une impasse, Adi le met en joue et fait face à un dilemme qui va peser sur la suite de sa vie. Doit-il l’abattre, le blesser pour l’arrêter, ne pas tirer, au risque de le laisser filer… ou de se faire tuer s’il est armé, etc. ?

Le scénario est construit sur trois de ces hypothèses. Que va-t-il se passer si Adi tire ? Qu’arrivera-t-il si Shiva parvient à s’échapper ? A chaque décision, des conséquences différentes. Et comme le dit la mère du héros (Praveena Deshpande), « il y a trois voies possibles, le bon choix, le mauvais choix et un choix médian ». Le choix personnel du jeune homme ? Si le procédé n’est pas nouveau au cinéma — voir Kieslowski ou Resnais pour ne citer que deux cinéastes prestigieux —, il est intelligemment mené par Amit Kumar qui est son propre scénariste. De cet exercice de style, partant d’une séquence clé (ici le douloureux face à face Adi-Shiva) déclinée avec les variantes qui découlent du choix du héros, le réalisateur fait un film noir, sophistiqué et plutôt prenant, qui avoue sa dette avec le cinéma de Hong Kong. La relative brièveté de l’œuvre empêche la lassitude due à la répétition des scènes, et chaque version exposée amène de nouveaux personnages au premier plan.

Plusieurs critiques ont comparé ce premier long métrage avec les œuvres d’Anurag Kashyap, notamment avec Ugly. C’est d’autant plus tentant que ce dernier est coproducteur du film, avec sa société AKFPL. Bien entendu, il y a une filiation. Il est vrai que les rues dégoulinantes de Bombay pendant la mousson, l’ambiance poisseuse du bidonville et du port de pêcheurs sur lesquels règne la pègre locale, la corruption et la collusion entre politiques, policiers et truands, autorisent ces rapprochements. D’autant plus que le directeur de la photographie, Rajeev Ravi, est aussi un familier du metteur en scène pour lequel il a travaillé à de multiples reprises. Son image est particulièrement soignée et très belle, malgré un certain abus de filtres colorés justifié par le fait qu’on est dans les slums de Bombay, de nuit le plus souvent, et sous la pluie.

D’où vient alors que le film de Kumar reste respirable, malgré l’atmosphère glauque et la violence permanente ? En premier lieu, du fait que le héros, Adi, conserve sa pureté au milieu de cet océan de bassesses et de crimes en tous genres. La corruption généralisée de la ville ne l’atteint pas, ou peut-être qu’elle n’a pas encore eu le temps de l’atteindre. Elle est de surcroît contrebalancée par de puissants antidotes, la présence de deux femmes, la mère et Anu, la fiancée. D’autres personnages féminins sont importants dans Monsoon Shootout, ceux de la femme de Shiva (Tannishtha Chattterjee) et de la prostituée Geeta (Sreejita De), qui malgré le malheur de leur condition offrent opportunément une respiration, un espoir, là où chez Kashyap tout est désespérément négatif. On aurait aimé que ces rôles soient un peu plus développés. Le film est frustrant à cet égard et semble à plusieurs reprises être une ébauche de ce qu’il aurait pu être avec un peu plus d’expérience du metteur en scène. On a parfois l’impression d’être face à un catalogue de rôles : la mère, l’épouse malgré tout dévouée, la fiancée, la putain, et même la chef flic corrompue (Hiravasti Harshe). C’est un peu dommage.

En revanche, le long développement assez maladroit sur Chhotu, le fils de Shiva, très bien interprété par le jeune et prometteur Farhan Mohammad Hanif Shaikh, n’était sans doute pas nécessaire. Son passage de l’état d’enfant innocent à celui de tueur, aussi juvénile qu’impitoyable et broyé par une fatalité que rien ne peut casser, aurait gagné à être raccourci ou aurait pu constituer un autre film. Et faute de temps pour approfondir, le scénario lui prête certaines réactions caricaturales, qui frisent l’incohérence ou même le ridicule. D’autres outrances du même ordre sont cependant corrigées par l’interprétation de l’ensemble des acteurs.

On a souvent dit l’excellence de Nawazuddin Sidddiqui, on ne peut que se répéter. Son tueur à la hache, même s’il évoque un peu trop par moments le personnage de GOW, dégage une force animale et une férocité qui font passer les quelques faiblesses du film. Il ne tire pas la couverture à lui et ne fait jamais d’ombre au jeune Vijay Varma qui s’en tire honorablement — on peut seulement lui reprocher d’être un tantinet inexpressif. Pour la petite histoire, sachez que Nawaz a joué dans le premier court-métrage du réalisateur, The Bypass. Dans l’emploi du trouble commissaire Khan, Neeraj Kabi, déjà repéré dans Ship of Theseus, est plus que parfait. Il a un vrai charisme, passant du paternalisme le plus patelin au cynisme brutal du flic revenu de tout. Voilà un acteur qu’on aimerait revoir souvent. Les actrices sont elles aussi à la hauteur de leur rôle. Celui de Geetanjali Thapa est bref, mais elle illumine l’écran lorsqu’elle parait.

La bande son est encore un bon point à mettre au crédit du film. Pas de grands morceaux chantés ni dansés toutefois, nous sommes dans un film indépendant. Mais, la musique accompagne admirablement les moments de tension, comme de respiration entre les scènes violentes. Elle a été composée par Gingger Shankar, qui n’est autre que la petite nièce du grand musicien Ravi Shankar.

En conclusion, Monsoon Shootout est un film à voir malgré ses imperfections. On ne s’ennuie pas une minute et les belles trouvailles d’Amit Kumar, comme l’interprétation remarquable des acteurs, font passer un bon moment. Décidément, il semble bien une fois de plus que la relève soit assurée pour le jeune cinéma indien. Merci à Arte de l’avoir diffusé.

La bande-annonce

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