]]>

Le Salon de Musique

Titre original : Jalsaghar

LangueBengali
GenresDrame, Classique
Dir. PhotoSubrata Mitra
ActeursChhabi Biswas, Padma Devi, Pinaki Sen Gupta, Gangapada Bose, Tulsi Lahari, Kali Sarkar
Dir. MusicalVilayat Khan
ChanteursSardar Akhtar, Gautam Basu, Salamat Ali Khan, Waheed Khan, Krishnakumar Shukla
ProducteurSatyajit Ray
Durée100 mn

Bande originale

Générique - Raga du Matin
Shahnai Puis Flash-Back
Dans le Salon de Musique et Annonce de la Fête
Cérémonie Religieuse et Fête
Première Jalsa - La Chanteuse : Akhtari Bai
Inquiétude de Mahamaya et Rêve de Biswambhar Leçon de Chant de Khoka
Départ de Khoka et de Mahamaya
Nuit : Joueur de Surbahar et Groupe Electogene - Feu d’Artifice Chez Nahim Ganguli
Annonce Fête de Mendiants et Arrivée de la Tourmente
Deuxième Jalsa Avec le Chanteur Salamat Ali - La Mort De Khoka
Après le Déluge - Désolation
Retour au Présent : Tufan, le Cheval de Khoka
Invitation de Ganguli Avec Fanfare
Réouverture de Salon de Musique de Biswambhar le Préparatifs de la Fête
L’Ultime Jalsa Avec le Chanteur
Montee de la Folie de Blswambhar et Mort de Ce Dernier

En savoir plus

Fiche IMDB
Page Wikipedia
La critique de Fantastikindia

Par Gandhi Tata - le 21 novembre 2011

Note :
(10/10)

Article lu 2175 fois

Galerie

Le cinéma d’art et d’essai indien était à l’honneur au Louvre, dans le cadre d’un événement prestigieux : Le Louvre invite Jean-Marie G. Le Clézio  !


L’Auditorium du Louvre laissait carte blanche à l’illustre Jean-Marie Gustave Le Clézio pour la projection de divers films étrangers, parmi lesquels figurait Le Salon de Musique de Satyajit Ray, le samedi 5 novembre 2011 à 18h.


Jean-Marie Gustave Le Clézio est détenteur du prix Nobel de littérature et auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages. Cet écrivain est l’un des auteurs de langue française les plus traduits dans le monde et son œuvre a été marquée par l’exploration culturelle. Avec un tel horizon artistique, on comprend mieux ses choix de films, allant de Kurosawa à Satyajit Ray.


Cela faisait une éternité que je n’avais pas revu le Carrousel et inutile de dire qu’il m’impressionne toujours autant. De plus, établir un partenariat et travailler avec une institution aussi prestigieuse que le Louvre a été un immense honneur. Je profite de cet article pour remercier chaleureusement Mme Brun du service promotion et développement du musée, qui nous a offert cette formidable opportunité. C’est donc avec une grande joie que je me suis rendu à cette projection qui se tenait à l’Auditorium. J’ai failli me perdre au départ, mais l’immense affiche de M. Le Clézio qui pendait au dessus de l’entrée de l’Auditorium m’a bien aidé.


Après une brève présentation du film et quelques anecdotes de tournage, les lumières se sont éteintes pour laisser place au chef-d’œuvre. L’intervenante nous avait prévenu que la copie du Salon de Musique présentée ce soir-là avait bien vécu, mais que cela n’enlevait rien à la force du noir et blanc voulu par le maître Ray. Et au terme de la séance, je confirme que la pellicule a vieilli, mais ces altérations du temps sont comme les belles rides d’une femme sublimée par les années. Cette bobine s’est bonifiée avec le temps et visionner ce film sur un support qui a tant tourné dans les festivals, était comme déguster un bon millésime. Et que dire de ce film que je ne connaissais que par sa réputation… Dans un premier temps, j’avais honte de ne pas l’avoir vu plus tôt, mais finalement, j’étais heureux de l’avoir fait dans ce lieu d’exception.




L’analyse du film

Le Salon de Musique (Jalsaghar en bengali) est le quatrième long métrage de l’illustre Satyajit Ray. Sorti en 1958, Jalsaghar est considéré par tous comme un film-charnière, non seulement dans la carrière du cinéaste bengali, mais aussi du cinéma international.


Dans l’Inde venant d’accéder à son indépendance et où les vieilles traditions tendent à disparaître, Biswambhar Roy est un zamindar (propriétaire terrien) désabusé qui croupit dans son palais en ruines. Rien ne semble l’intéresser à l’exception de la musique qui vient lui rappeler de douloureux souvenirs. A une époque, il avait tout : une famille, de maigres propriétés et sa passion dévorante pour la musique. Mais plutôt que de gérer les problèmes liés à ses terres, il préférait dilapider sa fortune avec de coûteux récitals dans son Salon de Musique. Un soir de concert, où la musique bat son plein, un drame vient assombrir son existence. Meurtri à jamais, il décide de s’isoler du monde… Jusqu’à ce que cette musique vienne le tirer de sa réclusion.


Le Salon de Musique est une œuvre intemporelle dont chaque aspect cinématographique fait figure de modèle à suivre, encore aujourd’hui. Qu’il s’agisse du noir et blanc qui est utilisé pour intensifier et sublimer chaque scène, ou des décors de désolation dans ce magnifique palais rendant l’âme, tout est minutieusement pensé pour renforcer l’histoire. Satyajit Ray n’était pas seulement un technicien de génie et metteur en scène inspiré, il était également un poète dans l’âme et les nombreuses métaphores qui jalonnent le film en disent autant que le récit sur l’état du personnage. On peut en citer tellement, et parmi elles, il y a ces bougies brûlant sur leurs fins lorsque Roy est au paroxysme de son délire, l’araignée sur le portrait à un moment inquiétant du film, ou encore le héros se regardant dans un miroir poussiéreux comme une auto-analyse de sa propre dégénérescence et surtout, ce lustre emblématique représentant à lui seul, sa gloire et sa déchéance. Tout est intelligence et poésie dans ce chef-d’œuvre et, à mon humble avis, aucun article ne peut réellement rendre hommage à ce monument du 7ème art. Il faut le voir au moins une fois pour effleurer ce qu’était le grand cinéma, celui de Monsieur Ray !



Le scénario du Salon de Musique, centré sur le zamindar, commence par le présenter dans les premières minutes du film. Nous y découvrons un homme affaibli par l’âge mais aussi par la vie, c’est alors que le lointain son du shehnai (hautbois indien) introduit le second personnage qu’est la musique. A partir de ce moment, un saut dans le passé est effectué pour nous expliquer cette passion dévastatrice que Biswambhar Roy vouait à la musique, aux dépens de sa propre famille. Ce flash-back, qui se termine tragiquement, nous en dit long sur le déclin de l’homme, mais aussi sur son amour pour la musique qui va le ramener à la réalité. La seconde partie du film voit en effet sa résurrection et son retour à l’existence. Mais a-t-il réellement appris de ses erreurs ou brûle-t-il une ultime fois de son orgueil avant de s’éteindre définitivement ? C’est à cette question que tente de répondre Le Salon de Musique.


Que l’on soit un public intellectuel ou lambda comme c’est mon cas, on ne peut rester indifférent au travail d’esthète de Satyajit Ray. Son film est une ode au cinéma et un geste de respect envers son spectateur. Cette vision du cinéma qu’il prône, n’est pas élitiste et en même temps, elle n’insulte pas l’intelligence du public. Ray utilise un langage universel à base de symboles et d’une mise en scène simple pour que son film soit accessible à tous.


Le soin apporté à l’écriture du personnage principal est révélateur du dur labeur de Satyajit Ray. Biswambhar Roy, joué par Chhabi Biswas, est aussi détestable qu’attachant, car il est profondément humain. Si d’un côté son orgueil démesuré l’amène à être stupide, sa passion pour un art aussi noble que la musique le démarque de son rival Ganguly, plutôt primaire et totalement inculte en la matière. Le film décrit le contexte sociologique de l’époque, où l’aristocratie représentée par Roy s’efface au profit d’une nouvelle bourgeoisie composé de parvenus et autres opportunistes comme Ganguly. La confrontation de ces deux mondes par le biais de ces deux personnages nous apprend beaucoup sur les mœurs et les coutumes de la période précédent l’indépendance du pays.


La musique est un élément important et un personnage à part entière du film. Car d’une part, c’est un fil conducteur qui va ponctuer les épisodes de la vie de Biswambhar Roy, mais aussi l’objet de sa passion, à la manière d’une héroïne, qu’il va haïr et aimer jusqu’à la folie. A l’ouverture du film, nous découvrons un homme éteint que le son du shehnai va littéralement ramener à la vie. La musique est également un révélateur de sa grandeur, car les concerts qu’il donne dans le Salon de Musique sont une démonstration de son prestige et la preuve de sa place élevée dans le village. En parlant de la musique du film, nous avons affaire à une bande originale aux tons classiques, composée par Vilayat Khan. On y voit se succéder les grands noms de la musique d’alors comme Ustad Bismillah Khan, Waheed Khan et Salamat Ali Khan.



Comme mentionné au début de l’article, Satyajit Ray a développé toute une symbolique autour du film, lui permettant de décrire tout ce monde qui s’écroule autour du zamindar.

Durant le flash-back, la femme de Roy mentionne déjà la crue qui immerge peu à peu ses terres et, par la suite, le soir du drame où il perd tout est un soir d’orage. Dans le Salon de Musique, la nature, plus précisément l’eau, est la personnification du temps qui passe et qui emporte avec lui la fortune et l’amour. Étant donné le contexte historique d’une Inde naissante, l’eau à l’image du Gange, est un élément purificateur dans lequel les vieilles traditions et institutions féodales vont être noyées pour faire place à une nouvelle démocratie. La chute de Biswambhar Roy est un peu celle de toute l’aristocratie indienne qui s’est effacée au profit d’une jeune nation.
Le cadre de cette propriété où se déroule l’histoire est à la fois le théâtre d’un passé éclatant et le tombeau d’une noblesse qui se meurt.


Dès sa première apparition dans le film, ce palais, aussi majestueux que désuet, évoque la contradiction. Et il y a une raison à cela, car le cinéaste a voulu que ce lieu symbolise tout un pan de l’héritage culturel indien qui va s’engloutir pour faire place à la modernité. Ce palais, dont le cœur est le salon de musique, ne bat que lors des concerts ruineux, dernier signe visible d’une splendeur perdue. D’ailleurs, le choix du palais avant le début du tournage repose sur une histoire assez étrange où la réalité a rejoint la fiction. Le script du film était prêt depuis un moment, mais Satyajit Ray était insatisfait dans sa quête d’un palais reflétant une grandeur déchue. Après de nombreuses visites, infructueuses, un vieil homme lui parle d’un palais situé dans l’actuel Bangladesh. Le propriétaire des lieux, qui se nomme Upendra Narayan Chawdhury, n’est autre que le héros de la nouvelle de Tarashankar Bannerjee sur laquelle se base le film de Ray.


Le Salon de Musique est aussi une œuvre où la nostalgie tient une place essentielle. Satyajit Ray installe une certaine mélancolie durant tout le film, en confrontant le pragmatisme du présent et le charme d’antan. On voit ainsi toute une série de parallèles entre l’automobile de Ganguly, si moderne, et le majestueux éléphant de Roy, ou encore l’éclairage à l’électricité face à la poésie du lustre à bougies.


Mais nostalgie ne rime pas avec complaisance, et Ray n’en oublie pas de critiquer le narcissisme d’un zamindar imbu de son rang. Le cinéaste ne manque pas de respect envers une classe qui représentait le raffinement, mais il souligne que son isolement l’a conduit à s’auto-détruire. La nouvelle bourgeoisie n’y est pas pour autant épargnée, sous les traits de Ganguly, un usurier devenu riche par ses propres moyens, mais qui ne parvient pas à se rapprocher de l’élégance du vieux Roy. Ce thème est un des fondements du Salon de Musique, car cette soif de rétablir un ordre révolu va littéralement dépouiller Biswambhar Roy. Hormis la différence de considération des villageois à l’égard du zamindar, qu’ils respectent, et de la voiture de Ganguly, qu’ils caillassent, les temps changent et Biswambhar Roy n’est pas dupe. Le Salon de Musique est le seul endroit où il peut assouvir sa passion de la musique et restaurer la gloire du passé. Or, dans cette quête inconsciente, il va laisser tout son argent et même sa famille, pour le simple plaisir de remettre Ganguly à sa place et flatter son égo de zamindar au sang noble.


Au final, le Salon de Musique est bien plus qu’un film, il est témoin d’une époque cruciale, où une Inde indépendante a remplacé une Inde féodale. Satyajit Ray a truffé son film de passages-cultes, où l’intelligence de la mise en scène rejoint la virtuosité de l’artiste. Il a su aller au-delà des clichés cinématographiques du zamindar exploitant les villageois, pour tirer le portrait de Biswambhar Roy, promis à un destin tragique, mais qui va vivre sa passion pour la musique jusqu’au dernier sou restant. Et même si sa nostalgie des vieilles règles féodales et son irresponsabilité envers sa famille le rendent exécrable, on ne peut s’empêcher de compatir pour lui, du fait de sa profonde humanité.


Il est difficile de conclure sur un film aussi important que le Salon de Musique, mais je ne dirai qu’une chose : ne vous arrêtez pas sur sa réputation de film d’art et d’essai, cette œuvre s’offre à tous, elle parle d’une Inde que l’on ne connaît que par les livres aujourd’hui et de ses traditions ancestrales qui ont totalement disparu. Le Salon de Musique parle d’un homme du passé, vivant dans un présent qui ne veut plus de lui. Mais en dépit de la réalité qui le rattrape peu à peu, il va vivre son existence comme ses aïeux dans ce Salon de Musique, dernier lieu où le temps de la magnificence des zamindar semble s’être figé. Biswambhar Roy sera triomphant, jusque dans la décadence ! Et c’est cette obstination de tomber la tête haute qui m’a séduit. La dernière scène du film où le zamindar chevauche sous les yeux de ses serviteurs impuissants est l’une des plus belles scènes de cinéma qu’il m’ait été donné de voir. Il y a comme un frisson qui m’a traversé, un peu comme si je venais de voir mon premier film.


Akira Kurosawa disait : "Ne pas avoir vu les films de Ray, c’est comme avoir vécu sur terre sans avoir jamais aperçu la lune ou le soleil." La citation du grand maître japonais est lourde de sens et valable pour tout cinéphile qui se respecte.


Commentaires
1 commentaire