Godhuli
Traduction : Le crépuscule
Langue | Hindi |
Genre | Drame |
Dir. Photo | Apurba Kishore Bir |
Acteurs | Naseeruddin Shah, Om Puri, Kulbhushan Kharbanda |
Dir. Musical | Bhaskar Chandavarkar |
Parolier | Suryabhanu Gupt |
Chanteurs | Mohammad Rafi, Usha Mangeshkar, Dilraj Kaur |
Producteurs | B. M.Venkatesh, Chandulal Jain |
Durée | 154 mn |
Récit du conflit qui oppose le prêtre d’un village à un riche éleveur de bovins désireux de s’affranchir des traditions religieuses, Godhuli est l’adaptation improbable, en hindi, d’un texte de l’écrivain de langue kannada et défenseur polémique de l’hindouisme S.L. Bhyrapp, par deux réalisateurs-scénaristes-acteurs plutôt marqués à gauche, Girish Karnad et B.V. Karanth, qui se sont fait connaître en 1970 par une violente dénonciation d’un système de castes dominé par les brahmanes, Samskara.
Un petit village du sud de l’Inde. Le temple, au sommet d’une colline, et la vaste étendue de prairies qu’il domine. Le temple est le domaine de Venkatesh (Naseeruddin Shah), prêtre et maître d’école ; les prés appartiennent à une riche famille d’éleveurs, les Gowda, dont les vaches, source de fierté et de prospérité pour le village, sont l’objet dans ce coin du Karnataka d’une adoration toute particulière.
Le mythe* sur lequel se fonde ce culte, rappelé chaque année sous la forme d’une pièce de théâtre (chantée ici par Mohammed Rafi et Usha Mangeshkar), ouvre Godhuli et annonce d’emblée la profonde religiosité hindoue dans laquelle va baigner tout le film. L’héroïne en est la vache Punyakoti, symbole à la fois de la mère nourricière et de l’honnêteté.
La tombe de cette Punyakoti, dont les vaches des Gowda sont supposées être les descendantes, est située dans les environs du village. Or voilà que le gouvernement du Karnataka décide de faire passer une route par cet endroit. Déjà les ouvriers s’apprêtent à démolir la tombe. Derrière le prêtre, les villageois unanimes s’opposent à cette décision. Tous espèrent le retour du fils de la famille Gowda, parti étudier aux Etats-Unis, et seul capable selon eux de négocier avec les autorités, en sa qualité d’homme instruit et d’héritier de la plus riche famille du village.
C’est la mort de son père qui fait rentrer au pays Nandan, sous les traits de Kulbhushan Kharbanda. L’occasion de découvrir que cet acteur a été un jeune homme fort séduisant avant d’être l’oncle clownesque et bedonnant du Mariage des Moussons. Il est accueilli à bras ouverts par le prêtre : les deux hommes, du même âge, étaient amis avant le départ de Nandan, et Venkatesh s’attend à poursuivre avec lui les bonnes relations qu’il entretenait avec ses parents. La mère de Nandan, une vieille dame muette et très pieuse, a toujours eu beaucoup de respect pour sa fonction, et son père s’apprêtait avant son décès à offrir au temple une partie de ses terres, ce qui aurait permis au prêtre de compléter son maigre salaire d’instituteur.
Mais Venkatesh déchante rapidement. Nandan rechigne à accomplir les rites funéraires, qui exigent qu’il se rase le crâne. Il négocie bien avec les autorités au sujet de la route, mais plutôt que de chercher à protéger la tombe, il cherche à éviter que le tracé ne le désavantage en coupant ses terres en deux. Il va jusqu’à installer dans le puits du temple (situé en réalité sur ses terres) une pompe destinée à irriguer ses champs, et cela malgré les protestations du prêtre qui estime que cette installation souille l’eau destinée au culte. Il s’éloigne progressivement de son ancien ami et de sa mère, dont l’indignation muette offre au film sa dose réglementaire de mélodrame. Mais le principal objet de discorde est la façon dont Nandan élève ses vaches. Il industrialise en effet son élevage, aux dépens de la tradition et du bien-être des bovins.
La distance qu’il a prise vis-à-vis de l’hindouisme que représente Venkatesh est incarnée par l’épouse qui le rejoint bientôt au village, une Américaine, dont le personnage, assez mal écrit, est le principal point faible du film. Tantôt elle tente de son mieux de s’intégrer, de comprendre l’hindouisme et de respecter les coutumes indiennes, tantôt elle est parfaitement fidèle au cliché de la méchante séductrice occidentale qui coupe le brave villageois indien de ses racines, et va jusqu’à commettre par vengeance envers le prêtre un crime parfaitement odieux aux yeux des villageois. En ordonnant la mise à mort d’une vache, elle rend inévitable l’affrontement entre le brahmane, gardien de la tradition, et Nandan, champion d’un capitalisme qui n’a que mépris pour ce qu’il considère comme des superstitions et des coutumes archaïques. Leur lutte va révéler les intérêts personnels et les préoccupations égoïstes dissimulés sous les bannières de la religion et de la modernisation économique et sociale, et amènera finalement chacun des belligérants à remettre en question ses certitudes.
Godhuli, c’est le soir, l’heure où les vaches soulèvent la poussière des chemins en rentrant au village (on entend dans ce mot les noms signifiant "vache" et "poussière"). C’est cette lumière mélancolique qui baigne la belle et triste scène finale. C’est aussi, la métaphore est limpide, le crépuscule d’un ordre social que Girish Karnad et B.V. Karanth nous présentent avec une grande précision. Le monde (idéalisé) qu’ils dépeignent avant le retour de Nandan, c’est celui d’un village du Karnataka où le pouvoir est partagé, apparemment de façon harmonieuse, entre les brahmanes, à qui reviennent la fonction religieuse et la transmission du savoir, et la caste dominante* d’éleveurs, les Gowda, qui possèdent les terres et les vaches dont dépend la prospérité de tout le village. Cette alliance, ce partage, est légitimé par le mythe qui fait des vaches de Nandan les héritières de la vache mythique Punyakoti.
Mais en refusant de jouer le jeu, de s’intégrer dans ce système villageois, Nandan met à jour ses tensions et ses déséquilibres, et la fragilité de cette belle unité. Venkatesh se rend compte que sa situation est précaire, et qu’il dépend de l’argent de Nandan, seul capable par exemple de verser le pot-de-vin qui empêchera sa mutation comme instituteur dans un autre village. En mobilisant tout son pouvoir, Ventakesh réussit à faire condamner Nandan par le panchayat (le conseil du village), et à le faire symboliquement exclure de la communauté villageoise, mais perd par là même tous ses moyens d’action. En effet, Nandan décide alors de vendre ses terres à des agriculteurs étrangers au village, qui ne reconnaîtront pas l’autorité traditionnelle du prêtre et du panchayat. Il faudra un miracle, au sens propre, pour que l’équilibre soit superficiellement rétabli. Tout cet aspect sociologique, cette analyse des rapports de pouvoir, est certainement un des éléments les plus intéressants du film.
Godhuli est l’exemple même d’une collaboration fructueuse entre les plus grands talents du nord et du sud de l’Inde. Bien que tourné en hindi et mettant en scène des acteurs du nord, il est profondément ancré dans un Karnataka rural dont on n’a pas souvent l’occasion de voir à l’écran les splendides paysages.
Girish Karnad sera aux côtés de Shyam Benegal et de Govind Nihalani une des figures du cinéma parallèle qui connaîtra son heure de gloire dans les années 80, et qui abordera de front toutes les problématiques sociales, notamment dans l’Inde rurale. Om Puri, Naseeruddin Shah, dans une moindre mesure Kulbhushan Kharbanda, seront de tous les films de ce courant. L’originalité cependant de Godhuli par rapport aux films qui lui succéderont, c’est sans doute un message nettement moins radical, plus modéré, plus conservateur aussi. C’est aussi la religiosité qui baigne tout le film et lui donne des allures de fable mythologique.
Cependant, en dehors même de toute considération religieuse, les questions posées sur l’évolution de la relation entre un éleveur et ses bêtes dans une agriculture qui s’industrialise ont une pertinence qui dépasse largement les frontières de l’Inde, et sont plus que jamais d’actualité aujourd’hui.
*Mythe expliqué ici .