Entretien avec Shobu Yarlagadda
Publié vendredi 7 avril 2017
Dernière modification dimanche 16 avril 2017
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Lors de son séjour en Inde au début de l’année 2017, notre reporter que l’on ne vous présente plus a rencontré le producteur de Baahubali, dans les locaux d’Arka Media Works à Hyderabad. Attention, spoilers du premier volet — pour ceux qui ne l’ont pas vu.
Baahubali the beginning sorti en Inde en 2015 a fait l’unanimité du public et des médias. Impossible d’être passé à côté de cette saga ; exceptionnelle par la recherche des décors, des combats spectaculaires, d’une histoire sophistiquée et imaginative. Cette fresque entre mythologie et antiquité met en valeur de magnifiques acteurs comme Prabhas, Rana Daggubati, Tamannaah et Anouchka Shetty. La réalisation magistrale de S.S. Rajamouli a été saluée unanimement. L’épopée fantastique a suscité tous les superlatifs de la part de la presse et des spectateurs. Des prix nationaux et internationaux lui ont été décernés. Les spectateurs ont montré leur fascination pour cette histoire à tel point que la phrase la plus partagé sur les réseaux sociaux était : "Why Kattappa killed Baahubali ? " (traduction : "Pourquoi Kattappa a-t’il tué Baahubali ? ").
La Société Arka Media Works qui a produit le premier volet, Baahubali : the beginning, est située à Hyderabad. Imaginez une ruche dans des bâtiments neufs avec de jeunes ingénieurs, designers, jeunes diplômés en technologies digitales et vous aurez une idée des bureaux d’Arka Média. Ambiance studieuse et concentrée : ils sont en train de créer, sous l’œil attentif du réalisateur S.S. Rajamouli et du producteur Shobu Yarlagadda, le plus grand film du cinéma indien depuis Mughal E Azam. Au cours des années de préparation et de tournage dans les célèbres studios RAMOJI FILMS (plus grands que les studios de Los Angeles), ils se sont installés dans des décors spécialement conçus pour Baahubali, avec des milliers de charpentiers, peintres, électriciens, décorateurs, techniciens. C’est quasiment une ville qui a travaillé sur ce projet inouï pendant plusieurs années ! Toutes les données chiffrées sont hors norme. Forts du succès de la première partie, ils sont tous engagés pour divertir le public avec un long métrage inégalé dans l’histoire du cinéma indien.
Le producteur Shobu Yarlagadda, en collaboration avec Prasad Devineni et responsable de Arka Mediaworks, a été impliqué dès le début du projet, il nous accorde une interview en janvier 2017.
Brigitte Leloire Kérackian : Est-ce un secret, ou peut-on connaître le budget total de Baahubali ?
Shobu Yarlagadda : Ce n’est pas du tout un secret. Les deux parties de Baahubali ont demandé un budget de 450 crores (4 500 000 000 rupee), soit environ 65 millions de dollars US.
BLK : Les recettes de Baahubali the Beginning ont atteint 94 millions de US dollars. Avez-vous couvert toutes vos dépenses ?
Shobu Yarlagadda : C’est le chiffre des recettes au box office mais cela ne correspond pas au montant que perçoit le producteur. Le montant mentionné au box-office cumule les prix des billets mais les distributeurs et les intermédiaires se rémunèrent aussi sur ces sommes donc nous n’en percevons que 30%.
BLK : Quand avez-vous entendu pour la première fois parler de l’histoire de Baahubali ?
Shobu Yarlagadda : Avec Rajamouli nous avions fait le film telugu Maryada Ramanna (2010) qui avait bien marché. En 2012, nous avons démarré notre collaboration pour une fiction, qui se voulait un projet plus ambitieux que son film Magadheera, diffusé en 2009. Avec son père, il avait déjà démarré l’écriture de Baahubali.
BLK : Vous avez pris part à ce défi dès le début de l’histoire ; avez-vous participé au recrutement des acteurs ? Combien d’équipes ont travaillé sur le projet, car S.S. Rajamouli ne pouvait pas assurer le tournage de toutes les scènes ?
Shobu Yarlagadda : Celui qui décide du casting est le réalisateur, Rajamouli ! Prabhas a été pressenti le premier car il correspondait le mieux à notre projet ! L’histoire a été écrite autour de Prabhas.
Rajamouli a sélectionné les stars qui étaient adaptées aux rôles. Ma contribution a été plutôt dans la production, le marketing et l’ouverture aux nouveaux marchés ! Nous avons une équipe régulière complète avec la production quotidienne, etc.
Les équipes de charpentiers, décorateurs, peintres, etc. ont été des milliers sur plusieurs années bien entendu et nous venons tout juste de terminer les dernières prises de vue en janvier. Nous sommes en phase de post-production. Pour les effets visuels, 33 studios répartis dans le monde entier sont actuellement en train de finaliser le film. 33 studios spécialisés dans les effets spéciaux travaillent en Inde, en Europe, et aux Etats-Unis. Notre superviseur des effets spéciaux coordonne tout et le film sortira le 28 avril 2017.
BLK : Certains films du Sud sont tournés sous forme de remake pour le Nord de l’Inde. Baahubali n’entre pas dans cette catégorie n’est-ce pas ?
Shobu Yarlagadda : Non, c’est déjà diffusé dans toute l’Inde ! Les doublages ont été faits dans toutes les langues du pays.
BLK : Pourquoi peut-on voir une immense réalisation comme Baahubali dans le cinéma telugu et pas dans d’autres parties de l’Inde ?
Shobu Yarlagadda : Il y a plusieurs raisons mais ce n’est pas vraiment lié au cinéma telugu ou hindi. La première est le délai de réalisation. Si on tient compte de tout le projet, il a fallu cinq ans de travail. Par conséquent, l’acteur principal — pour l’essentiel — et le réalisateur doivent y consacrer toute cette longue période. La plupart des gens sont très réticents à consacrer autant de temps à un unique film. Vous ne pouvez pas monter un projet de cette ampleur sans le temps nécessaire. Ce temps de réalisation peut s’avérer très variable car si jamais il y a des impondérables, une partie de ce temps est perdu. Prabhas a quasiment consacré cinq années de sa carrière à ce film. Dans l’hypothèse où le film n’aurait pas marché, il aurait risqué et perdu cinq ans !
S’il avait fait cinq films en cinq ans, il aurait pu éventuellement avoir deux succès et trois échecs. Il aurait de toute manière été récompensé. Donc, il y a un engagement dans le temps pour les acteurs et le réalisateur qui est incompressible. Le producteur aussi engage des sommes considérables sans pouvoir présumer du résultat final.
Les studios et la plupart des producteurs sont motivés par la valeur marchande du projet et le marché qu’il pourra toucher. La raison économique l’emporte dans la majorité des cas.
Pour ce projet spécifique, nous avions l’intime conviction du succès de cette histoire. Nous avons eu le sentiment profond qu’il fallait saisir cette opportunité pour le porter au-delà du cinéma telugu et l’ouvrir à toute l’Inde. Et ce fut un succès au plan national et international ! Nous avons investi dans un domaine où d’autres n’ont pas investi. Il y a peu de chances pour que nous investissions dans le projet suivant à un tel niveau.
BLK : Dans ce cas, peut-on dire que c’est le projet d’une vie ?
Shobu Yarlagadda : On peut le dire oui !
BLK : Est-ce un moyen d’avoir un film phare pour votre société de production, grâce à Baahubali, et ensuite vendre toutes les technologies, l’inventivité de votre studio pour d’autres projets ?
Shobu Yarlagadda : Pas les effets spéciaux mais cela correspond à notre fer de lance pour proposer, par exemple, une série de livres. Trois romans vont être édités. Nous avons une série en dessins animés prête pour diffusion. Des jeux Baahubali sont prêts. Une histoire annexe à Baahubali est en cours aussi.
Donc, pour la première fois en Inde, nous avons imaginé une "franchise" avec l’univers de Baahubali. En dehors du film, nous créons des thèmes qui s’y rapportent sur différents supports. Par exemple un merchandising avec des jouets et des figurines à l’image des héros du film qui seront mis à disposition. Nous avons une exposition de Cosplay en Inde et les fans pourront avoir cette opportunité. Nous avons créé une expérience de " Réalité Virtuelle ".
BLK : Vous avez présenté cette innovation technologique au Festival MAMI 2016 (Mumbai Film Festival). Pourriez-vous nous la décrire ?
Shobu Yarlagadda : Cette innovation est unique car vous vous retrouvez à l’intérieur de ce monde virtuel. Vous portez un casque et vous regardez de toutes parts, à 360°, et vous êtes totalement immergé dans ce monde.
Ce n’est pas projeté sur écran. Vous devez porter ce casque spécifique et partout où vous essayez de jeter votre regard, en haut, en bas, derrière vous : vous êtes dans cet univers. On vous immerge complètement. C’est une expérience unique en six ou sept minutes ! Pour le moment nous avons un teaser de 50 secondes que nous appelons : "l’épée de Baahubali" !
C’est un court-métrage en quelque sorte dans l’univers de Baahubali mais qui n’est pas du tout en lien avec le film.
Pour le visionner, il faut le système informatique spécifique ainsi que ces lunettes-casques. Notre projet est de l’installer dans des cabines ou des stands dans des centres commerciaux et des espaces publics. Ainsi, le public pourra faire cette expérience, pour une petite somme d’argent. Nous avons imaginé ce développement en collaboration avec la Société AMD Technologies et une société américaine, CNC.
BLK : Donc, cinq années de votre vie sont en train d’arriver à leur aboutissement ! Comment vivez-vous cette pression ?
Shobu Yarlagadda : (rires) La pression pour la première partie était bien plus intense en réalité. Actuellement, la pression arrive pour la finalisation, pour que l’univers de Baahubali perdure et se poursuive dans le monde. Notre nouveau défi est d’enrichir cet univers avec les autres supports qui font vivre l’histoire.
Partout en Inde, nous avons connu le succès et c’est particulièrement unique ! Comme vous le savez, en Inde, il y a différentes langues et différents marchés : telugu, tamoul, kannada, hindi, malayalam. Notre film connait un succès pan-indien !
BLK : Quel est le futur de votre société de production ? Des projets au budget plus limité ?
Shobu Yarlagadda : Pour le moment, nous n’entamerons rien dans des proportions comparables à Baahubali. Nous devons d’abord assurer tout le lancement. Nous avons toujours eu nos productions pour la télévision donc l’activité se poursuit. De nouvelles opportunités se dessinent avec Netflix et Amazon donc nous étudions ces nouvelles plateformes de diffusion aussi.
Propos recueillis et traduits de l’anglais par Brigitte Leloire Kérackian. Hyderabad. Janvier 2017.